Géoréférencement des réseaux enterrés

Des techniques de relevé à la gestion d’un cadastre du sous-sol.

Le sous-sol urbain regorge de réseaux : réseaux de distribution d’eau, de gaz, d’électricité, réseaux de télécommunication, collecteurs, etc. Ces réseaux sont le plus souvent discrets, invisibles et l’on entend parler d’eux que lorsqu’ils sont la cause d’accidents, parfois dramatiques. On se souvient de cette explosion au gaz suite à la perforation d’une conduite par une pelleteuse à Bondy (93) fin octobre 2007 qui a fait un mort. GDF avait été mis en cause car leurs plans de réseau n’avaient pas été tenus à jour. Quelques mois plus tard, à Lyon, un nouvel accident du même type survient faisant aussi une victime.
Loin d’être une fatalité, ces incidents peuvent être évités à plusieurs niveaux…

Les réseaux souterrains ont l’avantage d’être très utiles tout en étant parfaitement invisibles, ce qui peut très vite se révéler être un inconvénient quand on parle d’en faire un relevé topographique. Ces objets ne restent en effet visible que très peu de temps avant recouvrement de la fouille, cela complique passablement la façon d’en faire un relevé dans un contexte de chantier déjà contraignant. Pour remédier à ce problème, on fait appel à un système de détection de réseaux qui rend visible ce qui ne l’est plus. Il en existe de plusieurs sortes, chacun d’eux présente des avantages et inconvénients. Les détecteurs acoustiques fonctionnent sur le principe d’écoute du sol.

Des vibrations sont transmises à la canalisation à relever ; les ondes sonores sont ainsi propagées dans tout le réseau et il est possible d’écouter, en surface, ces ondes grâce à un détecteur adapté. Cette méthode permet de détecter tous les réseaux rigides, il est de plus utile dans le cadre de détection de fuites. Mais un accès direct au réseau est nécessaire pour lui transmettre les ondes vibratoires. Pour les réseaux électriques ou de télécommunication, il est possible d’utiliser des détecteurs par ondes radio en mode passif. Ici, seul un détecteur d’ondes électromagnétiques est nécessaire. L’appareil détecte directement l’onde électromagnétique générée par le câble électrique enfoui. Cette technique permet de détecter des objets dits à grandes profondeurs (jusqu’à 3.5 m environ) mais est sujet à des perturbations électromagnétiques externes (lignes électriques aériennes).
Si le réseau n’est pas de type électrique, deux solutions peuvent être envisagées. Il est possible de générer soi-même le courant électrique directement dans le réseau métallique, et de détecter le champ électromagnétique ainsi créé. Si le réseau n’est pas métallique la solution consiste à tirer un câble relié à un générateur à l’intérieur du réseau. C’est ce qu’on appelle le détecteur par ondes radio actif. Enfin, le géoradar ou “raDAr de sol” permet de détecter tous types de réseaux. Le système est basé sur la mesure de temps de vol d’une onde radio. Selon les milieux traversés, la propagation de l’onde se fait à une vitesse plus ou moins grande. L’hétérogénéité du temps de vol permet alors à un spécialiste de repérer les éventuels réseaux enterrés. Certains milieux géologiques (milieux aqueux ou comportant des cavités) posent toutefois des difficultés de détection.
Une fois détecté, le réseau est marqué au sol pour être ensuite mesuré. Les techniques de relevé sont des plus classiques : chaîne d’arpenteur, tachéomètre, GNSS, notamment. Cette chaîne de traitement (pose du réseau – détection – marquage – relevé) entraîne une accumulation d’erreurs et d’approximations. L’exactitude s’en trouve affectée et la précision de 40 cm imposée par le nouvel arrêté pourrait ne pas être atteinte. Certains constructeurs, conscients de cet enjeu, proposent aujourd’hui des systèmes combinés de détection avec GPS intégré permettant d’enregistrer la position, la profondeur et l’altitude du réseau. Il apparaît clairement que les méthodes de détection sont nombreuses mais assez peu polyvalentes. De plus, la précision de détection reste assez faible et un relevé ainsi effectué n’est pas complet. En effet, même une détection efficace ne saurait renseigner un plan en termes de type de réseau, matériaux utilisés, position des vannes, des coudes… La méthode la plus précise et la plus fiable reste alors le relevé à fouille ouverte. Mais cette méthode est aussi la plus contraignante car le temps d’intervention pour le géomètre est très court entre la pose et le recouvrement de la fouille. De plus, les interventions sont de courte durée mais répétées dans le temps au fur et à mesure de la pose, le tout dans un contexte de chantier non favorable. Malgré ces difficultés, c’est la méthode la plus utilisée par les gestionnaires de réseaux sur le canton de Genève. Celle-ci permet aux propriétaires de canalisations de gérer leurs réseaux de façon précise, complète et à jour. on passe alors du monde de la topographie : relevé de terrain et DAO au monde de la géomatique : gestion, diffusion de données géolocalisées, et SIG.

Cadastre du sous-sol de Genève
Genève est un des 26 cantons de Suisse et cela fait maintenant 20 ans qu’existe le Système d’Information du Territoire Genevois (SITG) qui valorise les géodonnées des collectivités publiques concernées. Aujourd’hui, les partenaires du SITG mettent à disposition du public et des professionnels, plus de 440 couches de géodonnées classées dans diverses thématiques telles que l’aménagement, le foncier, la mobilité, la santé, l’apiculture et bien d’autres encore.
Concernantla thématique du sous-sol, le Service de la mensuration officielle de Genève (SEMo) gère une cartographie complète des conduites sous le domaine public dans un géoportail Internet en mutualisant les données fournies par les propriétaires de canalisations. Ce cadastre permet de connaître l’encombrement de chaque conduite souterraine et simplifie les démarches de planification et de coordination des avant-projets de constructions.
C’est grâce à une volonté politique que le règlement concernant l’utilisation du domaine public a été modifié en septembre 2005 et qui rend obligatoire la transmission au SEMo des géodonnées et géométadonnées des canalisations souterraines (cf. encadré page suivante).
Le cadastre du sous-sol de Genève a donc plusieurs missions : rassembler les données des gestionnaires de réseaux souterrains, les transformer, les contrôler et les diffuser via un géoservice web. Sur le canton de Genève, on compte pas moins de 20 gestionnaires de réseaux souterrains différents. Parmi eux, on trouve les gestionnaires des réseaux de distribution d’eau, de gaz, d’électricité ; les réseaux d’évacuation d’eau propre, d’eau usée, et les nombreux fournisseurs d’accès aux réseaux de télécommunication (internet, téléphone). Chacun de ces gestionnaires mène les travaux de relevé, et de dessin selon les techniques qu’il souhaite. Cependant une précision planimétrique absolue de 10 à 30 cm est demandée. Cette contrainte ne permet pas aux détenteurs de canalisations d’utiliser les techniques de détection citées précédemment. Mais les démarches de chacun d’eux restent très diverses. Certains gestionnaires ont un service dédié aux relevés et au dessin des nouveaux réseaux depuis presque 100 ans. Ces gestionnaires emploient des géomètres et ont connu le passage du plan papier à l’ère DAO. D’autres gestionnaires beaucoup plus récents et moins actifs dans la pose de réseaux, font le relevé à la chaîne d’arpenteur en fin de pose ou sous-traitent parfois les travaux de relevé à des géomètres qualifiés. Cela dépend essentiellement de l’historique du service détenteur de canalisation.
Les propriétaires de ces canalisations sont ensuite tenus de fournir régulièrement leurs données à jour au service de la mensuration officielle (SEMo). La périodicité du renouvellement des données complètes du réseau est définie avec chaque propriétaire de canalisations en fonction de l’évolution plus ou moins rapide du réseau : le réseau gaz subit des modifications quotidiennes alors que le réseau d’oléoduc n’est pratiquement jamais modifié. Chaque acteur livre ses données dans le format avec lequel il les gère en interne. Que ce soit du point de vue de la précision du relevé, du format, du mode d’acquisition ou encore de la structure des calques, toutes ces données n’ont pas de points en commun. Par conséquent un script FME (Feature Manipulation Engine) a été mis en place pour chacun des fichiers reçus au SEMo afin d’homogénéiser ces données selon un même modèle de données, défini par le SEMo. Ainsi, chaque acteur peut continuer sa propre gestion avec ses logiciels DAo ou SIG tout en permettant l’actualisation d’une ou plusieurs couches du cadastre du sous-sol. La figure 7 montre un exemple de compilation pour les données de télécommunication.
Le modèle de données du cadastre du sous-sol est composé de 9 couches de géodonnées :

Eau potable, Assainissement
Gaz, Géotechnique
Electricité, Végétal (racines des arbres)
Télécommunication, Oléoduc (produits pétroliers)
Chauffage à distance /Thermie

Chacune de ces couches d’information est constituée d’objets lignes (les conduites), d’objets points ou nœuds (vannes, chambres, panneaux,…) et d’objets surfaciques (nappes de tubes, armoires, stations, galeries,…). Les informations : propriétaire de la canalisation, état, fonction et précision de
levé sont disponibles pour chaque objet du cadastre du sous-sol. En revanche toutes les données métiers (pression, température, etc.) sont écartées à la compilation ou lorsque le fournisseur de données les livre au SEMo. Ainsi, le SEMo ne gère que les objets ayant une emprise certaine dans le sous-sol et leur encombrement. C’est pour cette raison que d’autres objets tels que les bâtiments en soussol, le cadastre technique du sous-sol (accessoires de la construction tels que pieux de fondation, ancrages, parois moulées), l’emprise des racines des arbres, y sont également représentés.
Le SEMo procède également à des opérations de contrôle : cela passe par des visites de chantier avec prises de photographie. Chaque base livrée par le gestionnaire est comparée à la précédente, une détection de changement est appliquée et comparée aux chantiers visités. En cas de non-exécution, un rappel est adressé au gestionnaire concerné. Il faut noter que le SEMo peut faire procéder d’office, aux frais du détenteur, à la réouverture de la fouille et au relevé des canalisations. Le géoservice du cadastre du sous-sol (GeoCSS) est un des rares services du SITG protégé par un mot de passe pour des raisons de sécurité et de confidentialité. Il est possible de consulter le GeoCSS mais également d’en faire des extractions au format (vecteur ou raster) souhaité. La représentation de ces données est inspirée de la norme SIA (Société suisse des ingénieurs et des architectes) 405 – Information géographique des conduites souterraines – et répond au code couleur de la figure 9. Les possibilités offertes par un tel système d’information sont énormes. récemment la consultation du SITG est devenue possible sur plateforme mobile. on peut ainsi imaginer que chaque ouvrier sur le point d’ouvrir une fouille, consulte, sur place, le GeoCSS et “voit à travers le sol” avec sa tablette géolocalisée par GPS.
En termes de droit, le détenteur de canalisations demeure le seul responsable de la gestion de ses données.
C’est pour cette raison que le cadastre du sous-sol ne pourra en aucun cas être utilisé comme plan d’exécution, mais seulement pour les phases d’avant-projet. Seules les informations fournies directement par le détenteur.
Le cadastre genevois est aujourd’hui en pleine mutation vers la 3D. En effet, le canton dispose d’ores et déjà d’un “socle 3D” composé d’un MNT (Modèle numérique de terrain), du bâti 3D, et d’un certain nombre d’ouvrages d’art en base de données 3D. C’est donc dans la continuité de ce travail et par souci d’homogénéité que le SEMo souhaite passer d’un cadastre souterrain en 2D à un en 3D. La première motivation est donc d’abord une volonté des administrations genevoises au passage à un cadastre “tout 3D”. Mais une modélisation du sous-sol en 3D trouve également son utilité dans différents domaines.

En premier lieu, la connaissance de l’altitude des éléments du sous-sol peut être très importante, dans l’affaire de Bondy par exemple, les conduites n’étaient pas enfouies suffisamment profondément dans le sol. Cependant, même si les plans avaient été à jour, l’accident aurait pu survenir car ni les profondeurs, ni les altitudes n’y sont renseignées. Les ouvriers s’en tiennent à des normes standardisées telles que 80 cm de profondeur pour le gaz…

Aussi, une connaissance des réseaux enterrés en 3D permet d’atteindre tous les types de plans souhaités : plans topographiques, coupes selon les axes souhaités, profils en long ou en
travers. La simple information sur l’altitude permet donc d’accéder à de nombreux autres supports que le simple plan. La profondeur d’enfouissement par exemple sera disponible par comparaison de l’altitude des réseaux avec le MNT, et ce en tout point du plan.
Une autre utilité de la représentation 3D des éléments du sous-sol est simplement d’apporter plus de clarté à des réseaux souvent trop denses en milieu urbain pour être représentés en 2D. En effet, sur l’exemple du GeoCSS en figure 8, on peut constater la difficulté de représentation des réseaux souterrains en 2D. De plus, sans la 3D, on ne connaît pas la position relative des conduites. Par conséquent, si l’on a besoin d’atteindre une conduite, on ne peut que supposer que tel ou tel réseau sera placé au-dessus de l’autre par “habitude”.
L’Etat de Genève fut l’un des premiers à mener une étude sur la faisabilité d’un cadastre souterrain en 3D. Cela a donné lieu à un projet réalisé par Aurélien Lecomte (ingénieur topographe INSA) en 2007. Les objectifs de cette étude étaient de réaliser un prototype de cadastre souterrain en 3D, de l’analyser et de conclure quant à la faisabilité d’un cadastre souterrain 3D.

Durant cette étude, un des enjeux majeurs était de transformer un cadastre 2D en cadastre 3D. Deux cas se sont alors présentés :
Soit les données possèdent un attribut Z, dans ce cas l’objet est transformé en objet 3D grâce à cette information.
Soit cette information est inconnue, dans ce cas une altitude approximative est renseignée sur le principe du calcul suivant : Z=ZMNT – Profondeur Standard du réseau considéré.

Ce mode de calcul entraînait des erreurs au niveau des ouvrages d’art par exemple où les canalisations ne suivent pas le MNT. De plus, les conduites sont droites sous terre et ce mode de calcul entraînait des petites variations de Z comparables à du bruit sur les objets du sous-sol. Un lissage du MNT sur le domaine public est en cours et pourrait remédier à ce problème.

Les conclusions étaient donc : il est en effet possible de créer un SIG 3D du sous-sol, mais un complément des données est indispensable pour obtenir un résultat fiable. Cette étude a soulevé beaucoup de questions notamment sur le relevé 3D dans une fouille. Comment procéder à un relevé 3D ? Quel serait le coût d’un tel changement ? Que fait-on des anciennes conduites dont seule la planimétrie est connue ?

Un nouveau projet a alors été lancé dans le but d’étudier les nouvelles technologies pour le relevé du cadastre du sous-sol. Les contraintes particulières de ce type de relevé ont mis en évidence la possibilité d’utiliser une méthode photogrammétrique simplifiée à partir de photos de smartphones ou d’appareils de terrain possédant un appareil photo. C’est une possibilité qui devra être étudiée et mise en place de façon progressive pour compléter les relevés actuels…

Conclusion
L’endommagement de réseaux souterrains peut avoir des conséquences bien trop importantes pour ne pas être prises au sérieux. Le coût humain d’abord, des blessures graves voire mortelles peuvent survenir. De plus, les coûts financiers dus : aux pertes matérielles, aux réparations à entreprendre, au retard du chantier, sans compter les suites juridiques possibles peuvent rapidement devenir très importants. Il est indispensable de prendre conscience que la prévention de ce type d’accident à un coût largement inférieur aux complications possibles…
Lorsqu’un plan complet n’est pas disponible, une détection de réseaux peut venir en complément et prévenir les risques. La loi semble évoluer dans ce sens, on peut déplorer cependant qu’il soit nécessaire d’en passer par là pour maximiser la sécurité de chacun. Charge aujourd’hui aux gestionnaires de réseaux enterrés de profiter de cette évolution du droit pour rationaliser leur gestion de données géoréférencées dans un SIG précis, complet, et à jour.